Thèmes de politique énergétique : perspectives pour 2022

Thèmes de politique énergétique : perspectives pour 2022

La politique énergétique fait débat dans le cadre des efforts de décarbonation et des prix de l’énergie élevés.

Les objectifs de décarbonation et la gestion des prix de l’énergie élevés ont marqué la politique énergétique en 2021.

Les experts de l’énergie issus de différents bureaux de Frontier font part de leur avis sur ce que l’année 2022 nous réserve en termes de politique énergétique en Europe et au Royaume-Uni.

Les sujets du prix de l’énergie élevé et la question de savoir si et comment les décideurs politiques doivent y réagir seront encore à l’ordre du jour en 2022.

Alors que certains pays souhaiteraient changer radicalement le modèle des prix spot du marché de gros de l’électricité, d’autres s’opposent à toute modification importante du modèle actuel de conception du marché de l’électricité.

Une étape importante de ce débat aura lieu en avril 2022, lorsque l’ACER présentera ses recommandations finales à la Commission sur le bon fonctionnement du marché de l’électricité européen actuel.

Parmi les autres sujets de politique énergétique que nous aborderons probablement en 2022 figurent le rôle du nucléaire et du gaz naturel  dans la réalisation les objectifs de protection du climat ainsi que le rôle futur de l’électrification et de l’hydrogène dans le secteur du chauffage et de la mobilité.

Après une année marquée par une hausse record des prix de l’énergie, nous avons demandé aux experts énergétiques de Frontier ce que l’année 2022 nous réserve en termes de politique énergétique en Europe et au Royaume-Uni :

Michaela Unteutsch s’adresse à :

Vikram Balachandar (Bruxelles) ;

Christoph Riechmann (Cologne/Berlin/Londres) ;

Claire Thornhill (Londres) ;

Catherine Galano (Paris) ;

Pablo Gonzalez (Madrid).

Q : Les objectifs de décarbonation et la gestion des prix de l’énergie élevés ont marqué la politique énergétique en 2021.

Parlerons-nous encore des prix de l’énergie en 2022 ?

CR : Il semble malheureusement que ce soit le cas.

La réaction initiale du marché semblait être que les prix élevés du gaz et de l’électricité n’étaient qu’une simple péripétie de l’hiver 2021-22.

Toutefois, les fondamentaux et les observations du marché semblent maintenant suggérer le contraire.

En premier lieu, les prix du CO2 sont en hausse depuis que l’UE et le Royaume-Uni se sont fermement engagés à mettre en place un régime d’échange de droits d’émission plus strict.

Les prix du CO2 en Europe sont passés d’environ 24 €/t CO2  en janvier 2020 à plus de 80 €/t CO2 en janvier 2022.

Cela a une incidence directe sur le coût de la production d’énergie issue de combustibles fossiles.

Cela améliore l’attractivité de l’utilisation du gaz au détriment du charbon pour la production d’électricité et tend donc à augmenter la demande de gaz en Europe.

Entretemps, le gaz ne fait pas seulement l’objet d’une forte demande en Europe, mais également en Asie, alors que la production européenne diminue naturellement.

Cela entraîne une pression à la hausse sur les prix.

La hausse des prix du gaz et du carbone entraîne une hausse des prix de l’électricité, car sur de nombreux marchés, les prix de gros sont souvent fixés par rapport à la production au gaz.

Les prix de l’électricité ont augmenté de 27 €/MWh au premier trimestre 2020 à 193 €/MWh au premier trimestre 2022 (Figure 1).

Tandis que le marché à terme indique une amélioration des livraisons en 2023 et 2024, nous sommes loin de retrouver les prix bas observés ces dernières années.

Figure 1 :

Prix historique et à terme du gaz et de l’électricité (pour l’exemple du marché allemand)

Source :

Prix spot du gaz à J-1 de NetConnect Allemagne ; prix du gaz à terme de Trading Hub Europe ; prix spot de l’électricité d’EPEX pour l’Allemagne/le Luxembourg, prix de l’électricité à terme d’EEX pour l’Allemagne.

Données récupérées via Energate.

Remarque :

les prix historiques du gaz (électricité) sont calculés sur la base du prix moyen à J-1 (spot) du premier trimestre chaque année.

Prix à terme tel que négocié le 11 janvier 2022.

Les prix à terme pour (le premier trimestre) 2022 correspondent à la moyenne des prix à terme pour les mois de janvier, février et mars.

Pour 2024, le prix à terme du gaz correspond au prix à terme en hiver (dont la période entre décembre 2023 et février 2024).

Q : Nous constatons des réactions politiques à court terme aux prix de l’énergie élevés, comme une réduction des droits d’accise sur l’énergie et de la TVA, ainsi qu’une aide financière pour les clients les plus vulnérables. Que vont encore conconter les décideurs politiques pour 2022 ?

VB : En octobre 2021, la Commission a dévoilé la création d’une « boîte à outils» comprenant des mesures pour expliquer ce que les États membres pouvaient faire pour gérer la crise, y compris les politiques que vous mentionnez.

Mais la liste de mesures de la Commission laisse essentiellement intacte la conception sous-jacente du marché de gros, alors que certains pays souhaiteraient un changement.

CG : Oui, certains pays, dont la France et l’Espagne, souhaiteraient  changer radicalement le modèle des prix spot du marché de l’électricité de gros.

Aujourd’hui (comme indiqué précédemment par Christoph), les prix reflètent les coûts d’exploitation marginaux (ou incrémentiels) à court terme de l’approvisionnement en électricité – qui est souvent le coût variable de la production au gaz.

Ce n’est pas toujours clair pour les consommateurs lorsqu’on leur explique la raison pour laquelle les prix sont aussi élevés, alors que les coûts d’exploitation des technologies de production à faible carbone (nucléaire, éolien et solaire) sont plus faibles.

Certains pays préfèrent au contraire utiliser des prix de gros pour refléter le coût moyen de la production d’électricité à long terme (à partir des énergies renouvelables).

Cela semble être un détail technique, mais un tel changement pourrait avoir des répercussions fondamentales sur les incitations à investir et à exploiter et, en fin de compte, sur la sécurité de l’approvisionnement, les émissions et les factures d’énergie.

PG : La perception de l’exercice d’une position dominante sur le marché est également un facteur qui a un poids dans le débat.

En Espagne, le moratoire nucléaire (approuvé dans les années 80) et le manque de zones propices à la construction de sites hydro sont des arguments en faveur de l’absence de compétitivité des accords de marché existants.

Même s’il faut mettre en place des processus pour surveiller les abus de marché potentiels, des propos irréfléchis effraieront certainement les investisseurs.

Ce risque augmente les coûts de la transition énergétique.

CR : L’Allemagne et d’autres États membres, en revanche, s’opposent aux changements significatifs du modèle de conception du marché de l’électricité actuel.

Cela dit, les deux côtés ne sont peut-être pas aussi éloignés qu’il n’y semble.

Des quantités croissantes de capacités à faible émission de carbone font déjà l'objet de contrats à long terme liés aux coûts moyens à long terme, dont les coûts sont payés par les consommateurs.

Et de nouveaux signes indiquent que l’Allemagne est en train de revenir sur son instance précédente sur un modèle de marché basé uniquement sur le prix de l’énergie, avec un regain d’intérêt pour l’introduction d’un « marché de capacité » en plus afin de garantir la sécurité de l’approvisionnement en électricité.

VB : Le mois d'avril sera une étape importante de ce débat en 2022, lorsque l'ACER - l'Agence de coopération des régulateurs de l'énergie de l'Union européenne - remettra à la Commission ses recommandations finales sur le bon fonctionnement de la conception actuelle du marché européen de l'électricité.

Cela pourrait déclencher une réforme plus en profondeur de la conception du marché de l’électricité en Europe pour veiller à ce que la transition ait lieu à un moindre coût.

Des questions similaires se posent au Royaume-Uni, la National Grid (le gestionnaire de réseau britannique) et l’Ofgem (le régulateur britannique) ayant lancé des appels d’offres pour la future conception du marché.

Q : Les prix de l’énergie auront-ils un effet sur les objectifs politiques à moyen ou long terme ?

CT : En principe, l’objectif ultime n’a pas vraiment changé.

L'UE et le Royaume-Uni avaient déjà fixé dans leur législation des objectifs de zéro émission nette de gaz à effet de serre pour 2050 (en 2019 et 2021 respectivement).

Le Royaume-Uni a promulgué des objectifs intermédiaires plus ambitieux pour 2030 avant la COP26.

PG : En effet, la hausse des prix de l’énergie peut (de manière contre-intuitive) inciter à soutenir davantage la décarbonation dans certaines régions.

Par exemple, en Espagne, certains pensent que l’électricité renouvelable serait un moyen de faire baisser les prix de l’électricité.

Cela signifie que les gens sont plus pro-décarbonation qu’auparavant - au moins pour le secteur de l’électricité.

CR :Ces sentiments ne sont toutefois pas universellement partagés.

Les objectifs de l’Europe en matière de climat et d’énergies renouvelables pour 2030 (qui doivent être approuvés cette année) devront être soutenus par un nombre suffisant d’États membres et d’eurodéputés pour être atteints.

Les pays ayant les plus faibles revenus par tête et des lobbys puissants en faveur du charbon – comme en Europe centrale et de l’Est – craignent que les prix croissants de l’énergie et du carbone entraînent des troubles sociaux.

Pour que ces pays adoptent des objectifs en matière de climat et d’énergies renouvelables plus ambitieux, le niveau d’aide financière fournie par les autres pays européens sera un facteur déterminant.

L’année 2022 sera marquée par de nombreuses discussions sur le « Fonds social pour le climat » européen (liées aux discussions sur l’inclusion du transport et des bâtiments dans un plan de taxe carbone distinct).

Q : De quels AUTRES problèmes discuterons-nous en 2022 ?

CG : À en juger par le début de l’année 2022, nous discuterons du nucléaire !

La Commission européenne a récemment publié un projet de règlement sur la taxonomie selon lequel l’énergie nucléaire serait classée en tant que « durable », sous réserve de certaines conditions.

La France fait partie de ces pays qui soutiennent cette proposition, car elle montre un regain d’intérêt pour le développement de l’énergie nucléaire, dont le développement très médiatisé des petits réacteurs modulaires.

En revanche, d’autres pays s’y opposent farouchement…

Projet d’acte délégué complémentaire qui couvre certaines activités nucléaires et gazières en vertu du cadre de la taxonomie européenne

Le cadre de la « taxonomie européenne » classe les activités économiques considérées comme durables d’un point de vue environnemental.

Un premier projet d’acte délégué complémentaire couvrant certaines activités nucléaires et gazières a été soumis aux États membres européens le 31 décembre 2021.

Selon ce projet, l’électricité produite dans des centrales nucléaires ayant obtenu un permis avant 2045 est considérée comme durable.

Le gaz naturel est considéré comme une technologie de transition vers un système énergétique à faible émission de carbone.

Les investissements dans les centrales au gaz naturel sont pris en compte dans le cadre de la taxonomie jusqu’en 2030 s’ils respectent certains critères d’émissions et sont compatibles pour l’utilisation de gaz à faible carbone (comme l’hydrogène) à partir de 2035.

La Commission européenne devrait adopter l’acte délégué en janvier 2022.

Ensuite, les États membres auront entre 4 et 6 mois pour organiser une majorité qualifiée (au moins 20 États membres représentant au moins 65 % de la population européenne) pour éviter l’adoption de l’acte délégué.

En cas de l’absence d’opposition du conseil et du parlement européen, la proposition sera adoptée.

CR : En effet, d’autres pays sont farouchement opposés à l’utilisation continue de la technologie nucléaire.

L’Allemagne terminera sa sortie progressive du nucléaire en 2023.

L'Autriche mène la charge contre le traitement préférentiel accordé au nucléaire dans le cadre de la taxonomie européenne.

Selon elle, la durabilité devrait être définie de manière plus vaste et ne pas concerner uniquement l’impact du CO2. De plus, il existe des préoccupations sur les risques et les incertitudes autour de la mise hors service des centrales nucléaires.

Étant donné la politisation de la technologie nucléaire, il est évident qu’elle sera déployée uniquement là où elle bénéficie d’un soutien politique et où les risques commerciaux sont couverts par des garanties étatiques.

VB : Le projet de proposition sur la taxonomie énonce également le rôle transitionnel potentiel du gaz naturel (fossile).

Nous constatons que c’est un thème récurrent lors des débats à l’échelle de l’Europe – par exemple, les nouvelles lignes directrices sur les aides de l’État en matière de climat et d’énergie qui entrent en vigueur cette année nécessitent également que les États membres justifient la cohérence des investissements dans le gaz fossile avec les objectifs climatiques à long terme.

Ce sera une question importante pas seulement en Europe, mais au-delà, car les pays cherchent à trouver un compromis entre le charbon et l’objectif zéro émission nette, et c’est un problème auquel nous avons réfléchi.

En outre, les pays de l'UE et les députés européens se prononceront sur des dossiers (par exemple, sur les normes relatives aux émissions des voitures et des camionnettes et sur l'efficacité énergétique des bâtiments) qui auront des répercussions importantes sur la manière dont nous chauffons nos bâtiments et dont nous alimentons notre mobilité.

Certaines parties prenantes sont favorables à l’interdiction des moteurs à combustion interne ou des chaudières au gaz à l’échelle européenne.

CR : Si nous comprenons les motivations qui sous-tendent ces appels, une grande partie de notre analyse souligne l'importance d'adopter une vision globale du système énergétique et - idéalement - de laisser des options ouvertes aux consommateurs comme aux autorités nationales.

Par exemple, de telles interdictions élimineraient l’utilisation de solutions technologiques spécifiques à certaines applications qui pourraient s’avérer durables et efficaces, comme la production et l’utilisation de carburants synthétiques (et non fossiles) faibles en carbone, produits par l’électricité renouvelable.

Tandis que les véhicules électriques et les pompes à chaleur se révèlent efficaces pour certaines applications, notre analyse suggère qu’ils sont nettement moins efficaces et appropriés pour d’autres applications (ex. : transport de produits lourds ou chauffage de vieux bâtiments).

CT : Un débat tout aussi important a lieu au Royaume-Uni sur le rôle potentiel de l'hydrogène dans le chauffage des bâtiments.

Aujourd’hui, le gouvernement planifie de toute façon le lancement de pompes à chaleur, axé sur les zones où l’hydrogène est moins susceptible de jouer un rôle important.

Le projet vise ensuite à prendre des décisions stratégiques sur la portée du lancement de l’hydrogène pour le chauffage des bâtiments d’ici 2026.

Entretemps, cependant, beaucoup de gens ont des opinions bien tranchées !

 

Q : Il semble que tous ces débats aient des sujets en commun. Quels sont les principaux thèmes selon vous ?

CR : Oui, si les désaccords sur les objectifs finaux sont moindres, les points de vue divergent plus fondamentalement sur les domaines dans lesquels on peut laisser le marché agir et sur ceux dans lesquels les responsables politiques doivent intervenir pour orienter les choses et garantir les "bons" résultats.

Ces décisions ne sont pas toujours faciles à prendre, surtout compte tenu des incertitudes associées au développement technologique et à la performance et l’efficacité des différentes politiques.

Cela soulève certainement des questions intéressantes pour les économistes spécialisés dans l’énergie, et nous sommes impatients d’échanger avec nos clients et le secteur de l’énergie dans son ensemble sur ces problèmes en 2022 !