Dan Elliott de Frontier Economics nous partage certains défis importants que la pandémie apporté aux personnes qui planifient ou régulent les infrastructures de transport aérien.
Le secteur de l’aviation s’était habitué aux chocs de court terme.
Après le 11 septembre et la crise financière de 2008, les voyages aériens ont repris, de manière plus ou moins régulière, assez rapidement.
En revanche, l’industrie n’avait jamais vécu de situation telle que la crise COVID-19, qui en avril 2020 a entraîné l’arrêt quasi total des activités aériennes ainsi qu’une réduction de deux tiers du nombre de passagers aériens dans le monde d’une année à l’autre.
Et depuis lors, les prévisions optimistes de reprise ont été réfutées les unes après les autres.
Ce n’est peut-être pas étonnant, étant donné la difficulté de prévoir l’évolution de la pandémie.
Toute planification d'entreprise est confrontée à cette question qui reste toujours ouverte.
Mais pour le secteur aérien, c'est un défi particulier.
La capacité des aéroports ne peut pas être augmentée du jour au lendemain.
Il faut des décennies pour élaborer des plans, obtenir l'approbation du gouvernement et du public, et construire des pistes et des terminaux.
Tandis que la capacité est essentielle pour répondre à la demande, la mettre à disposition trop en avance peut conduire au désastre financier.
Si l’on ajoute à cela le fonctionnement des régimes de réglementation des prix (ou des accords de concession qui limitent l’évolution tarifaire), il paraît évident que la visibilité à long terme des volumes et des coûts est essentielle pour la gestion des activités aéroportuaires.
Cela crée une boucle de rétroaction pour le financement des aéroports : le chemin vers la viabilité est étroit, et dépend fortement de prévisions fiables.
Il n'est pas encore certain que les vaccins et les traitements médicamenteux aient définitivement changé la menace que représente le COVID.
Et même si (ou, espérons-le, quand) il s'avère que la pandémie est devenue une simple maladie endémique, il ne sera pas facile de juger à quel point ce virus aura changé le monde.
Cela a fait couler beaucoup d’encre, semblerait-il principalement de la part d’astrologues.
En vérité, seules les diseurs de bonne aventure, plutôt que les économistes, se risqueraient à faire des prévisions précises dans le brouillard actuel.
Mais l’économie peut encore apporter une certaine discipline dans cette lutte contre l’imprévisibilité.
Les modèles de prévision traditionnels se basent sur la relation remarquablement durable entre la croissance économique, la demande pour les voyages aériens et les tarifs.
Aujourd’hui, les défis en termes de prévisibilité ont changé, et le cadre économique devrait également suivre cette tendance.
Quatre facteurs
Quatre facteurs, causés par la crise COVID-19 ou concomitants à celle-ci, ont vraisemblablement changé les règles du jeu.
Premièrement, les confinements nous ont poussés vers le monde virtuel.
Il n’est cependant pas encore sûr dans quelle mesure : depuis le développement de l’internet et des téléphones portables, les stratèges et les sociologues prédisent une forte réduction des voyages d’affaires.
Mais avant la pandémie, les chiffres défiaient les prévisions les plus pessimistes, suggérant même que les interactions d’affaires virtuelles et physiques étaient des activités complémentaires plutôt que substituables.
En revanche, la qualité des logiciels de réunions virtuelles et l’expérience des entreprises en la matière, s’est fortement développée depuis le début de l’année 2020.
La célèbre prédiction de Bill Gates l’année dernière selon laquelle les voyages d’affaires chuteraient de 50 % a été remise en question par de nombreuses personnes, mais il est probable qu'une certaine substitution des appels vidéo aux déplacements physiques se soit installée.
Cela risque à son tour de faire grimper les prix pour les vacanciers, qui sont subventionnés les voyageurs de première classe, ce qui exerce une pression supplémentaire à la baisse sur la demande.
Deuxièmement, l’aviation, comme tout autre secteur responsable de fortes émissions de CO2, est confrontée à un avenir marqué par des coûts d’abattement plus élevés.
Celles-ci seront imposées par des mesures gouvernementales telles que le Système d’échange de quotas d’émission de l’UE, et par l’adoption de nouveaux carburants tels que les biocarburants, les carburants d’aviation durables et l’hydrogène, voire même l’électricité, engendrant également une hausse des tarifs.
En revanche, tandis que les connaissances économiques élémentaires suggèrent que ces deux facteurs entraîneront une baisse de la demande de voyages aériens, ils ne découpleront pas forcément la demande de la croissance économique.
Troisièmement, les préoccupations environnementales peuvent avoir des effets non liés au prix sur les clients, les gouvernements et les entreprises, limitant ainsi les voyages en avion.
Jusqu’ici, les voyageurs n'ont pas montré de gêne à continuer de prendre l'avion.
En revanche, l'obligation de rendre compte des plans de l'entreprise en vue d'atteindre le « net zéro » pourrait commencer à modifier le comportement des entreprises.
Quatrièmement, la croissance économique sous-jacente est elle-même beaucoup plus sujette à caution.
Les contraintes liées à offre ont contribué à alimenter l’inflation, créant un dilemme pour les autorités monétaires.
La gestion économique dans un monde post-COVID présente des défis inhabituels, peut-être particulièrement, mais pas seulement, dans une Grande-Bretagne post-Brexit.
PLANS B, C, D ET...
Voici donc ce que nous faisons chez Frontier Economics pour rendre la planification plus adaptée au contexte actuel :
- Au lieu de prétendre que nous pouvons prévoir le trafic aérien avec précision, les plans doivent être basés sur plusieurs scénarios de demande et sur les réponses appropriées, ce qui permet d'augmenter ou de réduire le développement en fonction des événements.
- Des approches flexibles sont nécessaires pour rééquilibrer les plans à court terme de l'investissement dans les capacités vers les solutions d'exploitation.
- Les projets doivent être évalués à l’aide de méthodologies basées sur des « options véritables », par exemple en attribuant une valeur appropriée aux opportunités de les stopper ou les accélérer, de la même manière que des valeurs sont attribuées aux options financières.
Pour bien réaliser ce type de planification, les aéroports doivent améliorer leur compréhension de la relation à long terme entre les coûts (opex et capex) et la demande - c'est-à-dire améliorer leur capacité à mesurer « l’élasticité » ou la mesure dans laquelle chacun de ces éléments évolue en fonction d’un autre.
Les élasticités à court terme (entre un et deux ans) et à long terme (entre cinq et dix ans) sont typiquement très différentes.
Seule une analyse approfondie de ces deux facteurs permettra à la planification des scénarios d’être véritablement basée sur les données. La nature de la crise a rendu le secteur aéroportuaire plus risqué, tant sur le plan opérationnel que financier.
Avec le début de la pandémie, le bêta de l’actif des aéroports, une mesure du risque de marché qui ne tient pas compte de la dette, a fortement augmenté, voire doublé dans certains cas. Et comme rien ne laisse présager un retour aux niveaux pré-pandémie, les aéroports seront confrontés à des coûts de financement plus élevés dans le futur proche.
Sauf si les régulateurs trouvent un moyen de compenser/réduire ce risque accru, le coût du financement des aéroports augmentera considérablement.
Il en va de même, inévitablement, pour les coûts des compagnies aériennes et, par conséquent, pour le prix des billets.
Certains régulateurs ont reconnu la nécessité d'être beaucoup plus explicites quant au niveau de risque approprié, comme l’a fait la Civil Aviation Authority britannique (CAA) pour l’aéroport London Heathrow.
Des mécanismes de tarification sont nécessaires pour partager ce risque s’il sort d’une fourchette acceptable. La CAA propose d’utiliser la base d’actifs régulés de l’aéroport de Heathrow pour amortir les futurs chocs de demande.
Cependant, de tels ajustements doivent s’effectuer sur le long terme : les mécanismes de régulation qui poussent les tarifs à la hausse alors que la demande baisse sont exactement l’inverse de ce qui est recherché.
Quand la pression monte
Avant la pandémie, les projections d’EUROCONTROL indiquaient une pénurie importante de capacités pour les aéroports européens d’ici les années 2030.
En effet, avant la pandémie, EUROCONTROL estimait que d’ici 2040, environ 1,5 million de vols – l’équivalent de 160 millions de passagers – ne pourraient pas être assurés. Cette perspective a peut-être été reportée, mais il est difficile de savoir jusqu’à quand.
Il est donc essentiel d’avancer, non seulement en développant des outils de planification qui permettent une plus grande flexibilité à court terme, mais aussi en intégrant des mécanismes de marché efficaces dans les structures de régulation.
Ceux-ci devraient être orientées vers un rationnement efficace des capacités limitées – ce qui implique la refonte du système de créneaux – et le soutien du financement des capacités supplémentaires.
Si nous attendons que le brouillard se dissipe pour lancer cette réforme, ce sera des mois, voire des années, trop tard.