Comment la pandémie change les perspectives de fusion des compagnies aériennes

Le transport aérien a été l'un des secteurs les plus touchés par la pandémie de Covid-19, avec un ralentissement du trafic proche du décrochage et maintenant un redressement partiel et progressif. Mais curieusement, l'activité de fusion des compagnies aériennes s'est poursuivie. En effet, avec l'assouplissement des restrictions liées au Covid-19 et la reprise du trafic, la consolidation des compagnies aériennes européennes pourrait bien s'intensifier. La question de savoir si les fusions proposées obtiennent l'approbation des Autorités de concurrence, étant donné la façon dont la pandémie a bouleversé l'économie de l'aviation, est une tout autre histoire. Cet article se penche sur la manière dont le Covid-19 a troublé les eaux de la politique de concurrence de l'UE pour le secteur aérien, augmentant les défis auxquels les futures parties à la fusion sont confrontées.

Le trafic aérien s'est progressivement redressé au cours de l'année 2021, mais il reste en dessous des niveaux de 2019, et savoir si et quand il reviendra aux niveaux d'avant la pandémie est incertain. Les voyageurs d'affaires ont appris à se contenter d'appels vidéo, tandis que les exigences de tests et de quarantaine ont émoussé l'appétit des voyageurs de loisirs. Malgré les perspectives réduites du secteur – ou à cause d’elles – l’intérêt pour les fusions ne montre aucun signe de fléchissement. Un accord annoncé en janvier par International Airlines Group, propriétaire de British Airways et d'Iberia, pour le rachat de l'espagnol Air Europa fait actuellement l'objet d'une enquête approfondie de la Commission européenne (Commission), tandis qu'en avril Air Canada a abandonné son projet de rachat de Transat après que l'accord se soit heurté à une résistance de la Commission. Outre la pression financière induite par la pandémie, les compagnies aériennes sont également confrontées à la hausse des coûts liés à la tarification du carbone et à d'autres mesures environnementales, tandis que les gouvernements commencent à prendre au sérieux la lutte contre le changement climatique. Dans ces conditions, il ne sera pas surprenant que la sous-performance des compagnies aériennes entraîne une nouvelle consolidation sur le marché européen.

Et comme toujours, la Commission continue de faire évoluer son approche standard d'évaluation des fusions de compagnies aériennes pour prendre en compte ces nouveaux facteurs. Certaines de ces considérations, telles que l’accent mis sur l’étude d’une éventuelle position dominante d’une compagnie aérienne au sein d’un aéroport, se sont propagées à d'autres domaines du droit de la concurrence au-delà des fusions, comme les récentes décisions d’aides d’État concernant les compagnies aériennes de l’UE .

Les principales problématiques auxquelles sont confrontées les autorités de concurrence sont les suivantes :

Contrefactuel post-Covid
Les autorités de concurrence évaluent généralement le résultat attendu d'une fusion par rapport aux conditions du marché qui prévalaient avant l'opération proposée, en supposant qu'il s'agit du contrefactuel le plus probable. Mais la chute massive du trafic aérien due au Covid-19 remet en question l'hypothèse d'un retour au statu quo d'avant la pandémie. Le contrefactuel choisi par les autorités de concurrence dépendra donc de leur anticipation d'un retour à la normale du trafic et de la rapidité du rebond. Ce choix est à son tour susceptible d'affecter l'évaluation des fusions, à travers l'étendue des chevauchements entre les parties et l'intensité de la pression concurrentielle exercée par les parties et par leurs concurrents. Les autorités de concurrence seront probablement enclines à un contrefactuel plus conservateur que les parties à la fusion, ce qui donnera lieu à des évaluations potentiellement divergentes de l'impact de la fusion sur la concurrence.

Argument de l'entreprise défaillante
Bien que cela ne soit pas impossible en théorie, en pratique il est très difficile de convaincre la Commission d’approuver une fusion au motif que l’entreprise à reprendre est en difficulté – même si le dossier est solide. Certes, il existe un précédent bien connu dans le secteur aérien : la Commission avait accepté cet argument lors de la deuxième tentative de rapprochement entre Aegean etOlympic en 2013.


Cependant, plus récemment, lors de l'examen d'un projet de fusion entre Connect Airways et Flybe, la Commission a suggéré que la détention de créneaux stratégiques de décollage et d'atterrissage exclurait automatiquement la possibilité de faire valoir l’argument de l'entreprise défaillante. Contrairement aux avions, les créneaux sont l'un des rares actifs des compagnies aériennes qui ne peuvent pas être déplacés vers d'autres marchés. Par conséquent, le troisième critère d’évaluation de l’argument de l’entreprise défaillante, par lequel l'entreprise en question est tenue de sortir du marché avec tous ses actifs, échoue automatiquement. (Par ailleurs, ce problème ne s'est pas posé lors de la fusion Aegean/Olympic, car l'aéroport d'Athènes n'était pas confronté à des contraintes de capacité à l'époque, les créneaux de cet aéroport n'avaient donc pas de valeur particulière).


Il convient toutefois de noter que l’évaluation de la Commission n’a pas été mise à l’épreuve. Dans certaines circonstances, la position de la Commission pourrait être contestée. C’est notamment le cas si les créneaux ne représentent qu’un faible pourcentage du total des actifs d’une compagnie aérienne ou si les plafonds de capacité existants ne constituent plus une contrainte pour la concurrence parce qu’il est anticipé que la demande reste faible (et que la situation est donc plus proche de celle de l'affaire Aegean/Olympics).

Définition « double » du marché
La Commission a historiquement défini les marchés de l'aviation par point d’origine/point de destination (OD). Autrement dit, le marché est défini comme des services de transport entre deux villes ou deux aéroports. La Commission semble continuer à suivre cette approche, comme le montrent ses évaluations dans le cadre des récentes notifications de concentration d’Air Canada/Transat (abandonnée) et d'IAG/Air Europa (en cours). Au cours des dernières années et depuis l’affaire Airberlin en 2017, la Commission a également envisagé que les compagnies aériennes puissent occuper une position dominante dans différents aéroports, indépendamment des lignes qu’elles desservent à partir de ceux-ci. En plus d’affecter la manière dont la Commission évalue les fusions, cette approche dite de « position dominante dans l’aéroport » a été un élément clé dans l’affaire des aides d’État à la Lufthansa en 2020. Lors de l’évaluation des chances d’approbation d’un projet de concentration, les parties à la fusion devront donc clairement continuer à prendre en compte ces deux types de problèmes de concurrence potentiels.

Quelles données sont appropriées pour évaluer les fusions ?
Lors de l'étude des rapprochements de compagnies aériennes dans le passé, les autorités de concurrence se sont appuyées sur les parties à la fusion pour obtenir des données sur les fréquences, les passagers et les revenus. Celles-ci ont généralement été obtenues à partir de la base de données MIDT (basée sur les réservations effectuées par les agences de voyage), complétées par les propres chiffres des parties. Cependant, la Commission a récemment cessé d'accepter ces données, notamment dans le cadre de la joint venture Delta/Air France KLM, au motif qu'elles n’incluent pas les ventes directes des compagnies aériennes aux clients, qui sont souvent le canal de vente privilégié des compagnies low-cost. Cela met en évidence qu'un défi à ne pas négliger pour les parties à la fusion et leurs conseils est de se mettre d'accord dès le début avec la Commission sur les sources de données appropriées. Pour ce qui est de l'avenir, les cas de fusion devraient s'appuyer sur des sources qui incorporent des statistiques de ventes directes sous une forme ou une autre, comme les bases de données de l'IATA (PaXIS, DDS) ou autres sources telles qu’OAG.

Mesures correctives et créneaux aéroportuaires
Dans la plupart des cas de fusion de compagnies aériennes où la Commission a exigé des mesures correctives pour préserver la concurrence, elle a exigé des cessions de créneaux dans des aéroports dont la capacité est contrainte. Avec ces mesures correctives, les parties à la fusion doivent mettre des créneaux à la disposition des concurrents intéressés pendant un certain temps. L'argument avancé est que cela supprime le seul obstacle empêchant les concurrents potentiels d'entrer sur le marché. La menace d’entrée devrait à son tour suffire à empêcher les parties à la fusion d’augmenter les prix ou de réduire la qualité du service après la transaction. Toutefois, il n'est pas clair que ces mesures correctives soient jugées suffisantes à l’avenir tant que les effets de la pandémie perdureront. Étant donné que le trafic reste faible, la probabilité que des prétendants potentiels entrent ou se développent demeure incertaine. De façon plus générale, la Commission pourrait être moins susceptible d'accepter l'argument avancé par les compagnies aériennes qui fusionnent selon lequel elles sont menacées par des concurrents potentiels, jusqu'à ce que le trafic aérien redevienne proche de la normale et que les chances des nouveaux concurrents d'entrer sur le marché deviennent plus réalistes. Au lieu de cela, la Commission pourrait envisager des mesures de type « acquéreur initial » ou « règlement préalable » qui fourniraient une certitude supplémentaire que l'entrée aura lieu.

Brexit
À la suite du Brexit, les fusions impliquant des compagnies aériennes actives au Royaume-Uni sont susceptibles d'être examinées par la Commission et la CMA en parallèle, comme c'est le cas pour le projet de fusion IAG/Air Europa. Il existe très peu de précédents qui donnent une indication de ce que serait l'approche actuelle de la CMA pour évaluer les fusions de compagnies aériennes. Il n'est pas impossible d'imaginer un monde où la CMA pourrait diverger de la Commission sur des questions telles que la définition du marché et les mesures correctives, entre autres. La fusion IAG/Air Europa en cours pourrait éclairer la position actuelle de la CMA et notamment la façon dont elle entend appliquer les nouvelles lignes directrices relatives au contrôle des concentrations aux concentrations affectant le secteur du transport aérien. e fusion mises à jour aux transactions des compagnies aériennes.

Conclusion

La pandémie aura des répercussions durables sur le secteur aérien et il n'est pas improbable qu'elle entraîne dans son sillage une vague de consolidation des compagnies aériennes en Europe. La Commission devra s'assurer que son modèle de contrôle des concentrations est adapté à un environnement en pleine mutation. Cela comprend la prise en compte de l'incertitude et la clarification des considérations clés telles que la définition du contrefactuel pertinent, afin que les parties à la fusion puissent s'auto-évaluer correctement avant de procéder à une transaction.

Pour leur part, les compagnies aériennes ne devraient pas supposer qu'il deviendra plus facile d'obtenir l'approbation d'acquérir des concurrents sous-performants. En effet, à la liste déjà longue des critères à prendre en compte par les parties lors de l’évaluation des risques, comprenant l’analyse concurrentielle des chevauchements de lignes aériennes et l’étude d’une éventuelle position dominante dans les aéroports, s’ajoute désormais l'incertitude entourant la reprise du trafic aérien après la chute due au Covid-19.